Films et séries : politiques des formes audiovisuelles

Responsables : Sarah Hatchuel et David Roche

Ce programme propose d’analyser les articulations complexes entre esthétique et politique dans diverses formes audiovisuelles (série, long métrage, etc.), telles qu’elles ont pu être évoquées dans la célèbre phrase de Jean-Luc Godard : « Les travellings sont affaire de morale ! » Il s’inscrit dans la lignée aussi bien des sémioticiennes féministes des années 1970-1980 (Laura Mulvey, Teresa De Lauretis) qui plaidaient pour une mise au défi de la forme à des fins militantes, que dans la pensée de Jacques Rancière sur « la politique de l’esthétique » (2008), à savoir l’idée que l’expérience sensible et les formes qui l’éveille témoignent de rencontres, de partages, de confrontations et de négociations. Certaines productions culturelles (et même les lectures interprétatives de ces productions) peuvent être suffisamment dissidentes pour inquiéter l’idéologie dominante et contribuer à transformer les structures de pouvoir et les systèmes d’oppression, car elles ouvrent des champs de lutte et de résistance permanentes. La notion de forme sera étudiée dans son sens large : support médiatique, structure narrative, mise en cadre, plasticité, chromatisme, espace cinématographique ou sonore, etc. On insistera sur la spécificité même de ces formes (les distinctions entre formes courtes et longues, les temps de latence induits par la sérialité, la tension entre « feuilletonnant » et « épisodique » dans les séries, les frottements entre sequelremake et reboot au cinéma, etc.) sans pour autant négliger leurs similarités (narration audiovisuelle, genres cinématographiques et télévisuels, etc.) et leurs moments de croisement (adaptations, intertextualités, appropriations, œuvre transmédia et/ou transfictionnelle, etc.). Nous étudierons donc la manière dont la forme thématise sa propre portée éthique et politique, notamment à travers des procédés réflexifs ou des discours métafictionnels, ainsi que la manière dont une œuvre cinématographique ou sérielle peut être pensée comme site de militantisme avec une efficacité politique.

Dans l’esprit du RIRRA21 qui remet en question des hiérarchies de type centre/périphérie et dans le prolongement du programme transversal « Transfictionnalités, transmédialités » dirigé par Jean-Christophe Valtat lors du précédent quinquennal, les chercheurs et chercheuses impliqué.e.s dans ce programme s’intéresseront aux re-médiations et aux recyclages qui interrogent les notions d’originalité et de primauté d’une œuvre. La reprise peut célébrer la source tout en en proposant une version qui vient la remanier, la bouleverser, la tordre, la questionner, en l’adaptant à d’autres lieux, à d’autres langues et à d’autres temps, mais aussi en la juxtaposant à d’autres éléments. Ce désir d’adapter, de rejouer ou de prolonger une histoire sera analysé (toujours en le contextualisant) comme un phénomène esthétique et médiatique traduisant ce qu’une culture a besoin de re-dire et de re-présenter. À l’image du carnaval, la reprise et le recyclage sont cette célébration d’un moment à la fois destructeur et régénérateur dans le « changement-renouveau » qu’elle met en œuvre. Les changements et reformulations sur le plan esthétique et idéologique qu’une série télévisée, du fait de sa durée, effectue à l’intérieur d’elle-même, peuvent se retrouver au cinéma dans les différentes versions filmiques d’une même histoire. La question du partage prend d’ailleurs forme de manière très littérale à l’ère du numérique, puisque les œuvres sont non seulement partagées sur Internet, mais font elles-mêmes l’objet de reprise par un public actif et parfois même engagé (les pratiques de revisionnage, de « revival », de vidding). C’est ainsi le potentiel subversif de la répétition – jamais acquis ! – qu’il conviendra de jauger.

Ce programme entend particulièrement repenser l’objet « séries télévisées » à travers le projet MSH GUEST-Occitanie. Jusqu’à présent, alors même que le récit sériel a été largement étudié en France et à l’étranger (Esquenazi, Soulez, Favard, Mittell), la dimension éthique et idéologique de ses structures n’a jamais été prise en compte. Des séries semi-feuilletonnantes comme Urgences (E.R., NBC, 1994-2009), LOST (ABC, 2004-2010), Person of Interest (CBS, 2011-2016) ou Awake (NBC, 2012) développent une écriture qui, de saison en saison, se nourrit de la tension entre la part d’épisodique et la part de feuilletonnant qui les composent. Ces séries diégétisent leurs propres négociations narratives et, même si elles développent des arcs feuilletonnants forts, continuent à affirmer l’importance de l’épisodique comme métaphore de l’être humain dans sa singularité même.

Sur le plan de la valorisation des savoirs, nous développerons les liens entre recherche, enseignement et société civile (notamment en partenariat avec Occitanie Films, Séries Mania et, nous l’espérons, France Télévisions) et imaginerons des solutions innovantes utilisant supports audiovisuels et numériques pour médiatiser nos travaux (communications et essais-vidéo diffusés sur OpenEdition et YouTube). Tout cela afin, in fine, de repenser l’humain, dans son environnement politique, socio-culturel, médiatique et technologique, sur fond de crises écologiques et démocratiques. Nous explorerons, en effet, comment les reprises sérielles peuvent préparer l’imaginaire collectif à différents types d’avenir, postulant des spectateurs-citoyens, actifs sur les plans cognitif et éthique, particulièrement autour des enjeux du post-humain et des discours politiques. Nous répondrons aux appels à projets lancés par la MSH-Sud, dans l’optique du dépôt d’une ANR et, peut-être, d’un ERC.

Dernière mise à jour : 09/02/2021