Appel à communication : NATURALISMES EN RÉSEAUX. APPROCHES RÉTICULAIRES ET CONNECTÉES

Colloque international : Naturalismes en réseaux. Approches réticulaires et connectées.

14-15-16 novembre 2023
Université Paul-Valéry Montpellier 3
Organisé par Marie-Astrid Charlier, UPVM3-RiRRa21 / IUF

 

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En 1891, l’Enquête sur l’évolution littéraire de Jules Huret montre à quel point Émile Zola se superpose complètement au naturalisme dans l’imaginaire social et littéraire de l’époque. Que ce mouvement soit déclaré mort par un Anatole France ou que sa vivacité soit au contraire fermement défendue par un Paul Alexis, c’est systématiquement à cause ou grâce à Émile Zola. Car, selon la formule de Jules Lemaître, « le naturalisme, c’est Zola, Zola tout seul ». Les Goncourt, eux, sont absous car « on ne peut pas dire [qu’ils] soient des naturalistes purs ; ce sont surtout de prodigieux artistes et des raffinés », affirme Maurice Barrès, dont le jugement est représentatif des discours du temps sur les deux frères. Largement entretenue par l’auteur des Rougon-Macquart et par le discours médiatique des années 1870-1890, la position centrale et surplombante de Zola sur le naturalisme, une position souvent jugée écrasante par la jeune garde, s’est imposée dans les manuels scolaires et l’histoire littéraire. À cet égard, ce qu’on peut appeler le « moment 1880 » avec la publication du recueil Les Soirées de Médan formerait une parenthèse groupale et une aventure collective sans véritable lendemain. Du moins, hormis le fidèle Paul Alexis, les Médaniens auraient assez vite exploré d’autres voies esthétiques et fréquenté d’autres cercles littéraires, à l’image d’un Huysmans et d’un Maupassant. Bref, renégats ou alliés, pour reprendre l’expression de René-Pierre Colin, tous les proches de Zola à la fin des années 1870 et au tout début des années 1880 auraient fini par s’éloigner, plus ou moins rapidement, et le naturalisme aurait été, au fond, l’histoire du délitement d’une famille littéraire sous la IIIe République, avec quelques péripéties spectaculaires comme le tonitruant « Manifeste des Cinq » en 1887.

 

Avec René-Pierre Colin, Yves Chevrel ou encore Alain Pagès, les études consacrées au naturalisme ont travaillé à nuancer cette lecture auctoriale, parisienne et romanesque et à lui substituer une approche groupale, internationale et transgénérique, même si celle-ci est toujours plus ou moins relative à Zola – dont le nom figure dans le titre de la quasi-totalité des ouvrages consacrés au naturalisme. Plusieurs groupes ont ainsi été dégagés : le cercle de Médan avec ses multiples ramifications (Alain Pagès) ; le groupe du Grenier d’Edmond de Goncourt, composé de nombreux « renégats » de Zola ; le groupe des Cinq issu du Grenier ; la « république naturaliste » (René-Pierre Colin) composée de trois générations franco-belges avec Paris et Bruxelles comme pôles dynamiques ; enfin, l’étude de quelques « naturalismes du monde » (Olivier Lumbroso) a permis d’identifier de nouveaux acteurs et de cartographier plus précisément le naturalisme à l’échelle européenne et internationale.

 

Dans le sillage de ces travaux, tous consacrés à l’exploration de ce qu’on peut appeler la sphère naturaliste, une approche du naturalisme via la notion de réseau semble aujourd’hui nécessaire pour identifier et analyser ses ramifications non seulement individuelles mais aussi groupales, esthétiques, génériques, éditoriales et médiatiques, à plus ou moins grande distance de Zola, parfois tout bonnement sans lui. Car le naturalisme est aussi une histoire de circulation de personnes, de formes et de formats, une histoire de stratégies groupales et communicationnelles dans un champ littéraire très concurrentiel. En un mot, l’histoire du naturalisme en régime médiatique et à l’heure des premières mondialisations littéraires reste à faire. En effet, alors même qu'il a tendance à être réduit à la seule figure de Zola, en France, le naturalisme suscite paradoxalement un nombre remarquable d’affiliations explicites, à l’étranger, offrant peut-être le tout premier cas d'un mouvement littéraire diffusé simultanément sur plusieurs continents, mais cette diffusion a été trop peu étudiée quant à ses acteurs, ses médiations, pour voir ce qu’il advient de cette étiquette, des formes qu’elle désigne, des esthétiques contre lesquelles on la mobilise.

 

À cet égard, la notion de réseau, par sa souplesse et sa force heuristique, est particulièrement efficace car elle a l’avantage de suspendre les catégories pré-construites. Le naturalisme est de celles-là, de ces catégories pré-construites mais jamais vraiment remises sur le métier de la critique en tant que telle. Sans doute parce qu’il a vocation à être dépassé par les études monographiques qui dominent le champ des études littéraires – chaque écrivain envisagé étant forcément, au bout du compte, plus complexe que l’étiquette –, le naturalisme fait consensus et l’on s’accorde peu ou prou sur une définition finalement assez molle. L’étude des réseaux naturalistes ou connectés au naturalisme devrait permettre d’élargir la cartographie du mouvement, d’identifier de nouveaux acteur·rice·s et de mettre au jour des contacts entre des auteur·rice·s, des éditeur·rice·s, des directeur·rice·s de presse ou de théâtre, des acteur·rice·s, des chanteur·euse·s mais aussi des traducteur·rice·s et des impresarios…

 

À la faveur de leur structure qui, de fait, multiplie et égalise les entrées en évitant toute tentation de surplomb, le Dictionnaire du naturalisme (Colin, 2013) et le Dictionnaire des naturalismes (Becker/Dufief, 2017) proposent des pistes très suggestives sur la pluralité des
manières d’être naturaliste et d’écrire en naturaliste dans le second XIXe siècle. Les deuxième et troisième générations ont lancé leur carrière avec le naturalisme – stratégie et conviction souvent mêlées –, puis ont exploré d’autres voies, personnelles ou groupales. Mais s’ils se sont écartés de Zola, que ce soit par besoin de se libérer de cette figure écrasante ou pour des raisons de gestion (médiatique) de leur image, ils n’ont pas pour autant rompu avec tout ce qui n’est pas Zola dans le naturalisme : des amis, des lieux de sociabilités, des goûts artistiques, des pratiques littéraires et des convictions esthétiques. En témoigne la fondation de l’Académie Goncourt en 1900, dont les premiers membres reforment le réseau naturaliste de la décennie 1880 : Huysmans, Mirbeau, Rosny aîné et jeune, Hennique, Margueritte, Geffroy, Descaves, Bourges. On peut également penser à la vie théâtrale naturaliste qui, accueillie au Théâtre-Libre d’André Antoine à partir de 1887, se positionne à l’avant-garde dramatique, dans un « théâtre à côté », marginal, petit et privé, à l’image des lieux de sociabilités des avant-gardes littéraires et artistiques. À Montmartre, Le Chat noir et le cirque Fernando sont fréquentés aussi bien par la jeunesse fumiste que par les jeunes naturalistes. Ces exemples montrent combien est théorique (et médiatique !) la frontière entre les deux groupes dont les vies sont mêlées cependant que les étiquettes s’affrontent – et jouent à s’affronter – dans la presse. D’un autre côté, le naturalisme apparaît à la même époque comme un slogan publicitaire et une étiquette lucrative pour des romanciers en quête de succès, public et économique. Marchandisation de la littérature et vedettarisation de l’auteur sont accolées au naturalisme tel que Zola l’incarne, et pour cela, ils deviennent une cible médiatique de choix aussi bien pour un critique légitime comme Ferdinand Brunetière que pour un caricaturiste comme André Gill.

 

En somme, selon le réseau par lequel on l’attrape, le naturalisme n’apparaît pas avec le même visage et n’occupe pas la même position sur l’échelle des hiérarchies culturelles : Zola ou le célèbre romancier à succès puis l’intellectuel engagé ; André Antoine ou le jeune directeur-acteur à l’avant-garde ; l’Académie Goncourt ou le naturalisme institutionnalisé ; Henry Kistemaeckers ou l’éditeur sulfureux, etc. D’un point de vue chronologique, la découverte de réseaux inexplorés par la critique permettra de mieux cerner l’amont et l’aval du naturalisme en progressant dans la connaissance de sa généalogie – au-delà du modèle expérimental et de l’ancrage réaliste – et de son devenir au XXe siècle. Par exemple, en traçant les carrières des « petits » naturalistes des années 1880-1890 jusque dans les années 1920-1940, on pourra explorer ce que devient le naturalisme dans le contexte de la Grande Guerre puis de la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire les voies par lesquelles il persiste en s’articulant à de nouveaux réseaux littéraires, artistiques et politiques. Quelle cartographie du naturalisme dessine une approche réticulaire ? Quels réseaux, plus ou moins proches, apparaissent reliés au naturalisme et selon quel type de connexion (individu, groupe, lieu de sociabilités, presse, etc.) ? Par quels réseaux passent les circulations du naturalisme à l’échelle européenne et internationale ? Dans quelle mesure l’approche réticulaire permet-elle de désauctorialiser, déromaniser et déparisianiser le naturalisme et quelles en sont les éventuelles conséquences sur l’histoire littéraire, voire sur l’histoire culturelle du second XIXe siècle ? Et qu’en est-il de l’histoire transnationale du naturalisme ? Ces questions, qui nécessiteront des coupes synchroniques dans l’histoire littéraire du XIXe et du XXe siècles, seront nécessaires pour proposer une autre historicisation du naturalisme. En privilégiant les approches transversales mais sans exclure quelques études de cas, les communications pourront porter sur les axes suivants :


• Les lieux du naturalisme : théâtres, cabarets, music-hall, cirques, ateliers, salons…
• Les liens des naturalistes avec d’autres groupes littéraires : symbolisme, fumisme, naturisme…
• Les liens entre le naturalisme et les institutions légitimantes ; patrimonialisation du naturalisme
• Réseaux et générations naturalistes
• La place des femmes dans les réseaux réalistes-naturalistes : autrices, actrices, danseuses, chanteuses…
• Les réseaux politiques du naturalisme : socialisme, anarchisme…
• Les réseaux éditoriaux du naturalisme : Charpentier, Stock, Kistemaeckers, Bancquart…
• Les réseaux médiatiques du naturalisme : grande et petite presses, quotidiens, revues…
• Sociopoétique du naturalisme et construction collective d’une poétique et d’une esthétique naturalistes
• Réseaux européens/internationaux et transferts culturels : auteurs, éditeurs, traducteurs,  tournées théâtrales, presse
• Histoire transnationale et connectée du naturalisme
• Naturalisme et humanités numériques : visualisation, cartographie…
• Écritures fictionnelles du réseau et pensée du réseau dans les discours d’escorte des écrivain·e·s
• Réseaux anti-naturalistes

 

Les propositions de communication (1500-2000 signes), accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique, devront être envoyées à marie-astrid.charlier@univ-montp3.fr pour le 15 février 2023 au plus tard. Les réponses du comité scientifique seront notifiées courant mars.


Modalités de prise en charge des intervenant·e·s : l’hébergement et les repas seront pris en charge par le colloque ; les frais de transport seront à la charge des participant·e·s mais, en cas de difficulté, une prise en charge sera également possible.
Une publication des actes du colloque est prévue sur la plateforme Médias19 (https://www.medias19.org).

 

Comité scientifique

Michel Lacroix (Université du Québec à Montréal)
Olivier Lumbroso (Université Sorbonne Nouvelle)
Guillaume Pinson (Université Laval)
Éléonore Reverzy (Université Sorbonne Nouvelle)
Corinne Saminadayar-Perrin (Université Paul-Valéry Montpellier 3)
Marie-Ève Thérenty (Université Paul-Valéry Montpellier 3 / IUF)
Nicholas White (Université de Cambridge)
Adeline Wrona (Sorbonne Université)

 


Bibliographie indicative

BACHLEITNER Norbert, SMOLEJ Tone, ZIEGER Karl (dir.), Zola en Europe centrale, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires de Valenciennes, 2012.
BAGULEY David, Le Naturalisme et ses genres, Paris, Nathan, 1995.
BARJONET Aurélie et ZIEGER Karl (dir.), Zola derrière le rideau de fer, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2022.
BECKER Colette et DUFIEF Anne-Simone, Relecture des « petits » naturalistes, Nanterre, Université Paris X, coll. « RITM », 2000.
BECKER Colette et CABANES Jean-Louis (dir.), Ironies et inventions naturalistes, Nanterre, Université Paris X, coll. « RITM », 2001.
BECKER Colette et DUFIEF Pierre-Jean, Dictionnaire des naturalismes, 2 t., Paris, Honoré Champion, 2017.
BRIENS Sylvain, CEDERGREN Mickaëlle, SEGRESTIN Marthe et SVENBRO Anna (dir.), « Strindberg en héritage », Revue Études Germaniques, n°4, octobre-décembre 2013.
CABANÈS Jean-Louis, Les frères Goncourt, art et écriture, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1996.
CHARLIER Marie-Astrid, Le Roman et les Jours. Poétiques de la quotidienneté au XIXe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2018.
COLIN René-Pierre, Zola, renégats et alliés. La République naturaliste, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1888.–, Dictionnaire du naturalisme, Tusson, Du Lérot, 2013.
GLINOER Anthony et LAISNEY Vincent, L’Age des cénacles. Confraternités littéraires et artistiques au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2013.
GLINOER Anthony, DOZO Björn-Olav et LACROIX Michel (dir.), Imaginaires de la vie littéraire. Fiction, figuration, configuration, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2012
GRENAUD-TOSTAIN Céline et LUMBROSO Olivier (dir.), « Naturalisme – Vous avez dit naturalismes ? » Héritages, mutations et postérités d’un mouvement littéraire, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2016.
HILL Christopher Laing, Figures of the World : The Naturalist Novel and Transnational Form, Evanston, Northwestern University Press, 2020
LACROIX Michel, L’Invention du retour d’Europe. Réseaux transatlantiques et transferts culturels au début du XXe siècle, Québec, Presses de l’Université Laval, 2014.
LAISNEY Vincent, En lisant en écoutant, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2017.
LUMBROSO Olivier (dir.), « Naturalismes du monde : les voix de l’étranger », Les Cahiers naturalistes, n° 94, 2020.
MARNEFFE Daphné de et BENOIT Denis (dir.), Les Réseaux littéraires, Bruxelles, Le Cri-CIELULB-ULg, 2006.
MITTERAND Henri, L’Illusion réaliste. De Balzac à Aragon, Paris, PUF, 1994.
PAGÈS Alain, Zola et le groupe de Médan. Histoire d’un cercle littéraire, Paris, Perrin, 2014.
REVERZY Éléonore, Portrait de l’artiste en fille de joie. La littérature publique, Paris, CNRS éditions, 2016.
SAINT-AMAND Denis (dir.), La Dynamique des groupes littéraires, Liège, Presses de l’Université de Liège, coll. « Situations », 2016.
SAMINADAYAR-PERRIN Corinne (dir.), « Les “petits” naturalistes : une littérature au second degré ? », Les Cahiers naturalistes, n° 94, 2020.
SCHUH Julien (dir.), « Réseaux », Le Magasin du XIXe siècle, n°10, Champ Vallon/SERD, 2020.
SNIPES-HOYT Carolyn et MIGDAL Anna-Gural (dir.), Zola et le texte naturaliste en Europe et aux Amériques. Généricité, intertextualité et influences, Lampeter, The Edwin Mellen Press, 2006
STEAD Evanghelia et VEDRINE Hélène (dir.), L’Europe des revues (1880-1920), Paris, Sorbonne Université Presses, 2008.
–, L’Europe des revues II (1860-1930), Paris, Sorbonne Université Presses, 2018.
THÉRENTY Marie-Ève et VAILLANT Alain (dir.), Presse, nations et mondialisation au XIXe siècle, Paris, Nouveau Monde éditions, 2010.
THÉRENTY Marie-Ève et WRONA Adeline (dir.), L’Écrivain comme marque, Paris, Sorbonne Université Presses, 2020.
VAILLANT Alain et VÉRILHAC Yoan (dir.), Vie de bohème et « petite presse » du XIXe siècle : sociabilité littéraire ou solidarité journalistique ?, Nantesse, Presses universitaires de Paris Nanterre, coll. « Orbis litterarum », 2018.
VÉRILHAC Yoan, La Jeune critique des petites revues symbolistes, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2010.
ZIEGER Karl (dir.), « Le naturalisme en Autriche », Austriaca, n°86, 2018, URL :
https://journals.openedition.org/austriaca/490.
Zola journaliste. Articles et chroniques, édition d’Adeline Wrona, Paris, GF, 2011.

Dernière mise à jour : 06/12/2022