Appel à communications : Colloque « L’art et les formes de la nature »
Les 1er, 6 et 7 avril 2022
Collège des Bernardins, Paris / Université Paul-Valéry Montpellier 3
Organisé par Vincent DEVILLE (Université Paul-Valéry Montpellier 3, RIRRA21), Rodolphe OLCÈSE (Université Jean Monnet Saint-Etienne, ECLLA) et Jérôme ALEXANDRE (Collège des Bernardins)
TÉLÉCHARGER L'APPEL À COMMUNICATIONS
De septembre 2020 à décembre 2021, le Collège des Bernardins organise un séminaire mensuel consacré à l’étude des relations complexes entre pratiques artistiques et formes naturelles. Alors que ce séminaire touche à sa fin, un premier constat s’impose. Dans le champ des arts visuels – et singulièrement dans le domaine des arts filmiques – la nature signe sa présence à divers titres, et à diverses échelles : plantes dites adventices, filmées volontairement ou par accident (Jeremy Gravayat, Marylène Negro), plantes et jardins proposant des formes naturelles qui font motif avant même que les artistes ne s’en emparent (Stéphane Dabrowski, Jonas Delhaye), films de paysage (Rose Lowder, Jacques Perconte, Momoko Seto), réflexion d’ensemble sur les usages politiques de la nature ou plus globalement de l’environnement (Mathieu Asselin, Pierre Creton, Étienne de France, Manon Ott et Grégory Cohen, Anais Tondeur, Ana Vaz, Pierre Villemin).
Cette multiplicité des échelles selon lesquelles la nature se laisse approcher est le signe de son omniprésence. La nature apparaît décidément comme cela même qui ne peut pas ne pas surgir, inépuisable pourvoyeuse de matières et de formes que les artistes accueillent nécessairement, quand ils essaient par exemple d’appréhender le monde au moyen d’une caméra, quand bien même leurs préoccupations semblent les porter tout à fait ailleurs.
Ce constat, fait empiriquement au gré des séances, peut devenir un principe réflexif structurant : que nous enseigne cette omniprésence de la nature dans les arts contemporains ? Comment l’acte de création peut-il se régler – ou aussi se dérégler – en se greffant sur les dynamiques du vivant ? Au-delà de la sphère strictement artistique, en quoi la nature, au gré des différents règnes (végétal, animal, minéral) et des différentes échelles selon lesquelles elle est approchée, peut-elle inspirer les conduites humaines et guider un usage du monde défait de la logique d’emprise qui a acculé nos environnements d’existence aux situations critiques que l’on sait ? Et comment le regard porté sur la nature peut-il, par les moyens techniques et esthétiques, contribuer à réunir l’humain et la nature et à ne plus les maintenir séparés, en transposant la perception humaine de la nature dans le sensible des images ainsi révélé ? Nous invitons les intervenants à se saisir de telles questions, ou à en ouvrir d’autres, en inscrivant leur réflexion dans un régime spécifique de présence de la nature, dans ce jeu d'emboîtement que suggère la partition suivante : interstices, jardins, paysages et environnement.
1/ Interstices
Les arbres, les plantes et les fleurs semblent donner aux artistes un motif plastique de tout premier ordre, induisant un rapport contemplatif, évident en lui-même. Mais cet ordre contemplatif, qui semble maintenir la nature dans une forme d’existence privilégiée, n’est pas le seul qui mérite notre attention. Les plantes dites adventices, ou mauvaises herbes, sont réputées pour leur particulière ténacité et leur capacité à se maintenir et à se propager dans des environnements pourtant hostiles. Leur présence, en dehors des attentes qui se cristallisent dans la normalisation des espaces, en font aussi l’analogon, dans le règne végétal, de ce que peut être l’avant-garde dans le domaine des pratiques plastiques et de sa propension à se loger dans les interstices. Ce premier axe de réflexion invite donc à réfléchir à la manière dont les éléments naturels, selon les différents régimes auxquels ils appartiennent, se donnent comme motif plastique, qui peut lui-même être adventice, mais peut aussi nourrir les processus de création eux-mêmes, en leur proposant un modèle ou en leur fournissant leur matière première. Plonger dans les interstices, c’est aussi décentrer son regard, changer d’échelle d’observation et d’attention au monde, comme nous le rappelle l’histoire du cinéma sous l’impulsion d’outils au service de la science (Croissance des végétaux de Jean Comandon en 1929) et ainsi que l’exprime le cinéaste Marc Hurtado : « En filmant le microcosme, je voyais le macrocosme ; en fermant l’espace, je découvrais l’infini. Tout était pur miracle : un grain de sable, une pierre, une feuille qui tremble, la forme d’un visage... Dans les images les plus solaires comme dans les plus obscures, c’est le feu de la vie qui brûle. »
2/ Jardins
Alors que les écosystèmes sont fortement menacés, apparaît un fort désir de retour à la nature qui prend la forme de jardins en résistance : végétalisation des quartiers, créations de jardins partagés, agriculture urbaine... Ce phénomène se donne à voir au travers de créations filmiques qui considèrent l’intime comme une force politique. Les philosophes de l’Antiquité comme le stoïcien Marc Aurèle employaient un terme pour dire la puissance de renouvellement de la nature : ils ont parlé de palingénésie ou nouvelle naissance – des racines grecques palin (nouveau) et genesis (naissance). Ce colloque tente d’identifier ce mouvement naturaliste dans les préoccupations filmiques, tant d’un point de vue esthétique que politique, à partir des regards décalés des cinéastes de documentaires ou de fiction, montrant une nature fragile mais qui se régénère envers et contre tout. Inspirés notamment par les travaux de Gilles Clément, nous interrogerons ces regards portés sur le jardin dans leurs dimensions esthétique, politique et anthropologique.
3/ Paysages
Le paysage, s’il est un objet de représentation esthétique de tout premier ordre, nous invite à envisager un rapport critique à la nature : dans quelle mesure le paysage nous ouvre-t-il effectivement un point de vue sur la nature ? À quelle nature nous donne-t-il accès ? Le philosophe Henri Maldiney, à la suite d’Erwin Straus, envisage le paysage comme l’épreuve d’un dérèglement des repères, le lieu où se joue un rapport critique au monde dans son ensemble, vécu comme le lieu d’une perte – du monde et de soi-même. Dans le champ de l’histoire de l’art, le récent livre de Jacques Rancière (Le Temps du paysage) a montré comment les jardins anglais ont introduit au XVIIIe siècle dans la peinture de paysage une nature qui se démarque par son sens des irrégularités, de la
démesure, de la fracture. Que nous enseigne cette émergence d’une nature qui refuse de se laisser dompter ? Qu’en est-il du paysage aujourd’hui, qui ne se laisse plus appréhender que par le prisme d’un rapport technique au monde qui semble précisément nous séparer de la nature ? Cet axe interrogera la présence persistante du paysage en situation contemporaine, et réfléchira à la manière dont la nature peut être envisagée elle-même dans sa capacité à résister aux logiques représentatives et discursives qui tendent à l’arrimer à des techniques de domination du monde.
4/ Environnement
Ce dernier axe cherchera pour sa part à affronter les questions très actuelles qui touchent à ce que l’on appelle l’ère de l’anthropocène. Les dérèglements climatiques, dont nous pouvons constater quotidiennement l’ampleur grandissante, viennent nous rappeler la grande fragilité de notre présence au monde et nous imposent de considérer frontalement la question des effets de nos modes de vie sur nos environnements et sur une nature décidément défigurée. Comment les artistes font-ils face à cette urgence ? Et comment sont-ils aujourd’hui les témoins d’une vulnérabilité de la terre qui affecte très directement la sensibilité, la perception, et l’imaginaire humains ? Comment les arts visuels sont-ils à même de faire émerger une sensibilité immédiate à des phénomènes – de pollution notamment – parfois difficiles à percevoir autrement qu’au prisme d’un discours médiatique qui étouffe en nous toute possibilité d’agir ? Cet axe entend ouvrir un espace de réflexion à la question de savoir comment les arts visuels sont le lieu où peut s’inventer aujourd’hui un récit susceptible de fixer les contours d’un avenir et d’un agir désirables, notamment en inventant de nouvelles formes d’affiliations et de collaborations avec les vivants non-humains. La proximité de cet horizon de productions artistiques avec la théologie, qui a beaucoup à dire sur les différentes échelles selon lesquelles la nature s’adresse à nous, sera interrogée.
Bibliographie indicative :
• Éric Aeschimann, Lorraine Kleindienst et Rémi Noyon, Penser le vivant, Paris, Les Liens qui libèrent/L’Obs, 2021.
• Giovanni Aloi, Why Look at Plants? The Botanical Emergence in Contemporary Art, Brill/Rodopi, 2019.
• Léna Balaud et Antoine Chopot, Nous ne sommes pas seuls. Politique des soulèvements terrestres, Paris, Seuil, Coll. « Anthropocène », 2021.
• Augustin Berque, Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, essai de mésologie, Paris, Belin, 2014
• Teresa Castro, Perig Pitrou et Marie Rebecchi, Puissances du végétal et cinéma animiste. La vitalité révélée par la technique, Dijon, Les Presses du réel, 2020.
• Gilles Clément, Le Jardin planétaire, Paris, Albin Michel, 1999.
• Emanuele Coccia, Métamorphoses, Paris, Payot/Rivages, 2020.
• Marcel Conche, Présence de la nature, Paris, PUF, 2001.
• Vinciane Despret, Habiter en oiseau, Arles, Actes Sud, coll. « Mondes sauvages », 2019.
• Vincent Deville et Rodolphe Olcèse, L’Art tout contre la machine, chap. « Technique et nature », Paris, Hermann, 2021.
• Pierre Hadot, Le Voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de Nature, Paris, Gallimard, coll. « Essais », 2004.
• Sophie Lécole Solnychkine et Camille Prunet (dir.), Dossier « Végéter - Une écologie des formes à partir du végétal », La Furia Umana, # 37, 2019.
• Scott MacDonald, The Garden in the Machine, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press, 2001.
• Marielle Macé, Nos cabanes, Lagrasse, Verdier, 2019.
• Henri Maldiney, Art et existence, Paris, Klincksieck, 2003.
• Michael Marder, La Pensée végétale. Une philosophie de la vie des plantes (2013), trad. Cassandre Gruyer, Dijon, Les Presses du réel, 2021.
• Maurice Merleau-Ponty, « Le concept de nature (1956-1957) », Résumé de cours. Collège de France 1952-1960, Gallimard, 1968.
• Baptiste Morizot, Manières d'être vivants, Arles, Actes Sud, coll. « Mondes sauvages », 2020.
• Jean-Luc Nancy, La Peau fragile du monde, Paris, Galilée, 2020.
• Grégory Quenet, Qu’est-ce que l’histoire environnementale ?, Seyssel, Champ Vallon, 2014.
• Jacques Rancière, Le temps du paysage. Aux origines de la révolution esthétique, Paris, La Fabrique éditions, 2020.
• Jacques Tassin, Pour une écologie du sensible, Paris, Odile Jacob, 2020.
• Estelle Zhong Mengual, Apprendre à voir. Le point de vue du vivant, Arles, Actes Sud, coll. « Mondes sauvages », 2021.
Comité scientifique :
• Jérôme Alexandre (Collège des Bernardins)
• Robert Bonamy (Université Grenoble Alpes)
• Teresa Castro (Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3)
• Vincent Deville (Université Paul-Valéry Montpellier 3)
• Jonathan Larcher (Université Paris Nanterre)
• Carole Nosella (Université Jean Monnet Saint-Etienne)
• Rodolphe Olcèse (Université Jean Monnet Saint-Etienne)
• Julie Savelli (Université Paul-Valéry Montpellier 3)
Modalités et calendrier :
• Envoi des propositions jusqu’au 6 décembre 2021 à :
vincent.deville@univ-montp3.fr
rodolphe.olcese@univ-st-etienne.fr
jerome.alexandre@collegedesbernardins.fr
• Évaluation par le comité scientifique et réponse aux auteurs le 7 janvier 2022
• Colloque le 1er avril 2022 à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, et les 6 et 7 avril 2022 au Collège des Bernardins à Paris