Mercredis de l'Antiquité - 2022.2023
Façonner la nature, inventer le paysage
Au VIe siècle av. notre ère, des philosophes grecs élaborent le concept de physis, que l’on traduit par « nature ». Le mot dérive d’un verbe grec qui veut dire « pousser, croître ». La nature est une force qui explique le fonctionnement de l’univers et de la vie. Les explications « physiques » du monde, qui écartent souvent les dieux comme causes des phénomènes naturels, ouvrent la voie à une exploration rationnelle des plantes, des animaux, de la terre, du ciel… Elles portent aussi le risque que les hommes se sentent désormais extérieurs à la nature.
De la nature à l’anthropisation de l’environnement et à la construction des paysages par les hommes du passé, telle est la thématique qui sera traitée cette année. Les études récentes ont développé des approches variées du sujet, aussi bien à caractère culturel et économique que social ou anthropologique, en intégrant également les notions de perception et de représentation. Elles permettent d’aborder divers aspects de la nature aménagée, exploitée et vécue par les sociétés anciennes.
Témoins de réalisations, d’expériences et de visions multiples, les paysages illustrent une longue histoire de contrôle et de mise en valeur des espaces, d’intégration et de fonctionnement au sein d’entités socio-culturelles spécifiques. Jardins et vergers, arbres et plantes complètent ce panorama, essentiellement méditerranéen, à travers les expériences paysagères de diverses cultures de l’Antiquité.
► Accès libre et gratuit dans la limite des places disponibles, Auditorium du musée Fabre
Cycle de conférences proposé par le Musée des Moulages (Université Paul-Valéry / Montpellier 3) et le site archéologique Lattara – musée Henri-Prades, en partenariat avec le Musée Fabre, le LabEx Archimede et le laboratoire de recherche ASM (UMR-5140, CNRS) de l’Université Paul-Valéry / Montpellier 3
Comité d'organisation
Diane Dusseaux, conservatrice du patrimoine, directrice du Site archéologique Lattara – musée Henri Prades
Rosa Plana, professeure d’archéologie grecque, directrice du Musée des Moulages, Université Paul-Valéry/Montpellier 3
Elsa Rocca, maître de conférences en archéologie, Université Paul-Valéry/Montpellier 3
Comité scientifique
Christophe Chandezon, professeur d’histoire, Université Paul-Valéry/Montpellier 3
Diane Dusseaux, conservatrice du patrimoine, directrice du Site archéologique Lattara – musée Henri Prades
Hélène Ménard, maître de conférences en Histoire romaine, Université Paul-Valéry/Montpellier 3
Rosa Plana, professeure d’archéologie grecque, directrice du Musée des Moulages, Université Paul-Valéry/Montpellier 3
Elsa Rocca, maître de conférences en archéologie, Université Paul-Valéry/Montpellier 3
#1 : Qu'est ce qu'un animal ? Pensée naturaliste, humains, non-humains en Grèce ancienne

Mercredi 30 novembre 2022 - Auditorium du Musée Fabre - 18h30
Christophe CHANDEZON, professeur, Université Paul-Valéry Montpellier 3
La catégorie « animal », qui nous semble si familière, ne va pas de soi. En grec ancien, il a fallu du temps pour qu’un mot apparaisse pour dire l’animal et l’animalité. Il a fallu se dégager d’une vision des vivants certes hiérarchisée, mais qui n’était pas marquée par des frontières tranchées. Il fallait notamment l'invention de l'idée de nature (physis) par la philosophie présocratique ; dès lors, les hommes commencèrent à se sentir différents des animaux. Aristote a été une étape importante de l’élaboration de cette pensée naturaliste sur les animaux. À l’heure où ces frontières sont questionnées, il est important de revenir sur les étapes de leur élaboration dans la culture occidentale.
#2 : L'archéologie du jardin : un environnement construit

Mercredi 14 décembre 2022 - Auditorium du Musée Fabre - 18h30
Amina-Aïcha MALEK, chargée de recherche au CNRS, AOrOc - Paris
Si l’archéologie des jardins se développe graduellement, depuis que les archéologues reconnaissent leur possible existence et réalisent qu’un espace vide ou résiduel est susceptible d’être un jardin, elle fut longtemps reléguée à l’étude des jardins historiques et à leur restitution. Elle a depuis démontré sa capacité à enrichir la connaissance de ces jardins dont on croyait connaître tous les aspects grâce à la documentation textuelle et visuelle. La recherche non seulement de la configuration en surface du jardin (parterres, trous de plantation, allées, etc.), mais aussi de sa mise en oeuvre en tant qu’environnement construit, conduit à une nouvelle compréhension des structures profondes du site et de son intégration dans l’environnement. Une telle conception du jardin révèle une maîtrise des contextes qui reste certes encore à développer mais qui d’ores et déjà ouvre sur l’histoire de la technologie, de la botanique, de l’horticulture et des établissements humains et sur leur insertion dans leur environnement.
#3 : Valeurs patrimoniales des paysages méditerranéens à travers les arbres qui les composent

Mercredi 11 janvier 2023 - Auditorium du Musée Fabre - 18h30
Véronique MURE, botaniste
Au fil des siècles, les palettes végétales des parcs et des jardins ont évolué tout comme ont évolué les villes et les paysages ruraux. Notre lien aux arbres, les usages, mais aussi les modes, ont favorisé la présence de certaines essences pour aboutir à une véritable carte d’identité végétale de chaque époque, particulièrement en région méditerranéenne. De par leur longévité, oliviers, cyprès, grenadiers, amandiers, mûriers, lauriers nobles, arbres de Judée, platanes, cèdres, séquoias, ginkgos, arbousiers de Chypre, orangers des Osages, mais aussi bambous, palmiers… se côtoient, et pourtant chacun raconte une histoire singulière. La présentation s’appuiera sur quelques exemples pour mettre en lumière la valeur patrimoniale des paysages méditerranéens à travers les arbres qui les composent.
#4 : Rochelongue (Agde, Hérault) : lingots et bronzes protohistoriques par centaines dans la mer

Mercredi 08 février 2023 - Auditorium du Musée Fabre - 18h30
Jean GUILAINE, professeur au Collège de France, membre de l’Institut
Dominique GARCIA, professeur, Aix-Marseille Université – Centre Camille Jullian / Président de l’Inrap
Jean GASCÓ, chargé de recherche au CNRS, ASM UMR-5140, Université Paul-Valéry Montpellier 3, EHESS Toulouse
Découvert en 1964 au large du Cap-d’Agde (Hérault) par une équipe animée par André Bouscaras, le « dépôt » de Rochelongue constitue la plus importante masse métallique de la Gaule méditerranéenne. Il est composé de 1700 objets de bronze et plusieurs centaines de kilos de lingots de cuivre. Il s’inscrit dans la problématique des dépôts launaciens, cachettes de bronzes enfouies en Languedoc au VIIe et début du VIe siècle av. n. è. Il s’en éloigne toutefois car il est le seul « dépôt » (?) maritime de la série, et le plus récent de ces ensembles (vers 575-550 av. n.è.). Son interprétation comme un sanctuaire marin est discutée. De récentes analyses suggèrent que le cuivre des lingots serait majoritairement originaire du sud de la péninsule Ibérique. La thèse d’un récupérateur de métaux cabotant depuis cette aire, dans un contexte de relations avec la sphère ibéro-punique et ayant fait naufrage à Agde, semble confortée par la présence d’objets collectés tout au long des côtes catalanes et languedociennes.
#5 : Les végétaux dans le paysage religieux antique : étude de contextes funéraires et cultuels en Gaule et Méditerranée

Mercredi 15 mars 2023 - Auditorium du Musée Fabre - 18h30
Véronique MATTERNE, chargée de recherche, UMR-7209 AASPE, CNRS / Museum national d’Histoire naturelle
Les sociétés du passé ont eu recours aux végétaux pour de multiples usages, les plus communs étant la satisfaction des besoins alimentaires, l’artisanat ou encore l’ornementation des jardins. La médecine et la pharmacopée ont également largement exploité les propriétés thérapeutiques, voire psychotropes, des plantes. Certains végétaux se démarquent néanmoins d’une utilisation purement pratique et apparaissent chargés d’une symbolique qui relève davantage d’une anthropologie sociale. C’est le cas des dépôts végétaux observés dans le domaine funéraire ou cultuel, pour lesquels certaines espèces sont pratiquement absentes des contextes domestiques. Les plantes et les produits végétaux transformés découverts dans les tombes présentent de fortes similitudes avec les résidus de sacrifice issus de contextes cultuels ou les dépôts de fondation. Des essences ligneuses choisies pour leur aspect ont pu être spécifiquement plantées dans les complexes de sanctuaires. Elles participent alors activement du marquage même de ces espaces sacrés.
#6 : A quoi servent les ruines ?

Mercredi 12 avril 2023 - Auditorium du Musée Fabre - 18h30
Alain SCHNAPP, professeur émérite, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancien directeur de l’Institut national d’Histoire de l’Art
L’histoire universelle des ruines vise à élucider le rapport indissoluble que chaque civilisation entretient avec les ruines. Certaines civilisations confient à des monuments gigantesques le soin de perpétuer le souvenir, d’autres, comme les poètes de la Grèce ancienne ou les bardes du monde celtique ou scandinave, font plus confiance à la magie de l’élan poétique pour conserver la mémoire de ce qui est advenu. C’est cette tension entre matériel et immatériel, entre permanence et impermanence, que nous tenterons d’explorer des premières civilisations au sens des ruines dans l’Europe moderne.
#7 : La question du paysage dans l'antiquité classique : textes et images

Mercredi 19 avril 2023 - Auditorium du Musée Fabre - 18h30
Agnès ROUVERET, professeure émérite, Université Paris Nanterre
La découverte de la scène de chasse sur la façade de la Tombe de Philippe II de Macédoine a profondément renouvelé la question de la représentation des espaces naturels dans la peinture grecque et romaine entre le IVe siècle av. n. è. et les premiers siècles av. et apr. n. è., lorsque Vitruve, puis Pline l’Ancien, décrivent sous le nom de topia et de topiaria opera des thèmes paysagers, qui sont largement documentés par les témoignages archéologiques contemporains de ces auteurs. On reviendra sur la genèse et les enjeux de telles représentations à travers un choix de textes et d’images.
#8 : "Sonder l'âme des Romains" : nature et jardin dans l'antiquité

Mercredi 24 mai 2023 - Auditorium du Musée Fabre - 18h30
Ilse HIBOLD, chercheuse associée, Université de Berne
L’étude des jardins antiques connaît un grand succès depuis plusieurs décennies, rassemblant historiens, archéologues et paléo-botanistes autour d’un champ de recherche qui s’avère extrêmement fécond. Mais comment parle-t-on des jardins romains et de la nature aujourd’hui ? Quels aspects les chercheurs interrogent-ils et avec quel prisme ? Dans cette réflexion, les travaux de Pierre Grimal (1912-1996) sur les jardins romains, développés dès le milieu des années 1930 jusqu’à la fin de sa carrière académique puis réédités et traduits en anglais et en italien, tiennent une place importante. L’étude des préconceptions de P. Grimal sur les jardins romains permet notamment d’interroger le « naturalisme des Romains », un concept-clé dans sa réflexion qui définit le jardin comme une oeuvre d’art satisfaisant le goût de la nature des Romains mais qui manque d’intégrer la dimension sociale et politique de l’habitat aristocratique dans les jardins.
#9 : Le paysage sonore de l'antiquité romaine

Mercredi 07 juin 2023 - Auditorium du Musée Fabre - 18h30
Christophe VENDRIES, professeur, Université Rennes II, LAHM Creaah-UMR 6566
En 1977, le Canadien Murray Schafer, musicologue et compositeur, publiait son livre The tuning of the world, qui résumait bon nombre de ses travaux sur le soundscape, autrement dit, le « paysage sonore ». Il était loin de se douter de l’écho que cette notion allait connaître dans les sciences humaines et sociales malgré la définition très vague qu’en proposait l’auteur. Traduit en France en 1979 sous le titre Le paysage sonore, son livre allait susciter les premières recherches sur la construction des paysages sonores, stimulée par l’essor de l’histoire sensorielle. La conférence sera l’occasion d’en donner une définition et de voir son rattachement à la notion globale de paysage. Nous passerons en revue les sources disponibles (les textes, les objets sonores de la culture matérielle, l’iconographie) pour accéder à la reconstruction des paysages sonores, tels qu’ils étaient perçus par les Romains de l’Antiquité, tant dans l’espace urbain que rural, tout en cernant les limites de la méthode.